Les bienfaits de la Socio-esthétique en oncologie ne sont plus à démontrer auprès des patients atteints d’un cancer. Cependant, l’activité socio-esthétique n’est pas toujours bien comprise du grand public ou des professionnels de santé. En effet, peu de travaux de recherche sur les bienfaits de la socio-esthétique ont été menés. La dimension esthétique semble renvoyer constamment à la futilité… mais est-ce que la socio-esthétique se limite dans ses champs d’action à la prise en compte de la beauté des personnes atteintes d’un cancer ? Marie-Anne Conorgues, Socio-esthéticienne en oncologie va tenter d’expliquer ses actions menées auprès des malades en oncologie.
REVALORISATION DE L’ESTIME DE SOI : LE TOUCHER
Marie-Anne Conorgues, socio-esthéticienne depuis 18 ans et accompagnant des patients atteints de cancer, à tous les stades de la maladie, considère la Socio-esthétique comme un soin à part entière faisant parti des SOINS DE SUPPORT EN ONCOLOGIE.
La particularité de son parcours, socio-esthéticienne en oncologie :
Dès l’obtention de mon BTS Esthétique en 2001, j’intègre le CHU de Limoges en service de cancérologie et d’hématologie clinique en tant que socio-esthéticienne.
J’expérimente, d’emblée, les soins esthétiques que je qualifie souvent de soins corporels auprès de patients en oncologie. Ma particularité : je n’ai jamais travaillé en institut de beauté, dès le début de ma carrière, je deviens socio-esthéticienne et pour moi c’est une profession à part entière permettant de travailler sur la dimension corporelle des patients en oncologie. Le soin devient un excellent médiateur pour entrer en relation avec le corps du sujet touché par la maladie.
Les dimensions esthétiques et corporelles :
Dans Socio-esthétique, le mot Esthétique prend le dessus dans la définition du métier… pourtant c’est bien le mot « CORPS » qui prend tout son sens dans l’accompagnement des patients. La dimension esthétique est bien entendu une des compétences du métier et fait la particularité de la fonction. Les conseils esthétiques sont incontournables et essentiels dans la prise en charge de la maladie et notamment pour les femmes atteintes d’un cancer (maquillage, foulard, apparence, etc). Cependant en analysant les pratiques professionnelles en oncologie, on s’aperçoit que ce sont plutôt des soins centrés sur le corps, sur le mieux-être et/ou sur la réparation de l’état cutané qui sont dispensés.
Est-ce que les patients privilégient les séances avec une socio-esthéticienne pour l’aspect Esthétique, oui mais pas dans la majorité des cas.
Les mots « bien être », « détente » », « mieux être », « sentiment d’existence », « de considération », « écoute », « présence » sont les mots les plus souvent prononcés par les malades. Les expressions « esthétique » ou « se sentir beau ou belle » sont moins présents en terme de retours liés au vécu des soins socio-esthétiques.
Le toucher, excellent médiateur :
J’ai toujours été convaincue que la valeur ajoutée de mes interventions est bien le TOUCHER, support de tous les soins dispensés, bien plus que l’aspect esthétique.
Dès le début de ma carrière, j’expérimente la socio-esthétique en hématologie et je passe plus de temps dans les secteurs protégés et les chambres stériles que dans des chambres conventionnelles. Pour le coup, le maquillage, pour des raisons d’hygiène est limité voir interdit selon les secteurs.
Dès mes premiers pas dans le service, je comprends que ce qui m’attend est bien éloigné de ce que j’ai pu lire ou voir dans des magazines spécialisés : des photos de belles femmes maquillées avec un foulard sur la tête et une socio-esthéticienne en train de les farder ou de leur poser du vernis. C’est ainsi que les médias, encore de nos jours, communiquent sur notre profession… Être socio-esthéticienne ne se limite pas aux manifestations d’Octobre Rose, à porter une blouse Rose ou encore à poser du vernis, encore Rose… Être Socio-esthéticienne n’est pas « Rose » tous les jours et c’est bien plus un métier du soin à la personne que de l’esthétique !
Dès les premiers jours, je pousse les portes et je prends conscience de la souffrance, de la détresse, des angoisses et surtout de l’isolement. Comment continuer à se « sentir exister » lorsqu’on est enfermé dans une chambre stérile et que l’on est privé de contact ? Comment se sentir rassuré alors qu’aucun membre de la famille ne peut vous prendre dans les bras et vous apaiser ? Comment continuer à se percevoir et/ou à avoir conscience de son enveloppe corporelle quand on ne peut plus se lever pour s’observer dans un miroir et/ou quand le toucher du corps se limite à un toucher « technique » et non « relationnel » ? Comment réduire ses angoisses quand on glisse lentement vers la fin de vie ? Comment moins souffrir quand le corps fait défaut… quand ce CORPS « OBJET », « MÉDICALISE », devient source de douleur ?
Dès les premières rencontres, dès les premiers soins, je comprends que le métier que je vais exercer sera davantage axé sur la prise en compte de la dimension corporelle que la dimension esthétique du patient.
Mon meilleur outil reste le toucher et le soin relationnel qui l’accompagne. Finalement la Socio-esthétique c’est accompagner les modifications de l’image corporelle, la douleur, l’enfermement, les angoisses, l’anxiété, l’isolement, la peur, la fin de vie par des soins axés sur un toucher bienveillant accompagné d’une écoute active autour du corps, du sujet en souffrance.
Je n’oublierai jamais une de mes premières patientes, atteinte d’un lymphome en phase terminale, qui me dit après un soin du visage en pleurant : « Merci grâce à vous je me sens exister » !!! Je ne comprends pas à cet instant-là, du haut de mes 20 ans et de mon inexpérience, le sens de ces mots et encore moins la portée de ce soin sur ma patiente. Je comprends désormais que le fait de la toucher lui a permis de se sentir en vie et d’éprouver des sensations corporelles positives. Je comprends aujourd’hui que l’aspect contenant de mon soin a permis d’apaiser ses angoisses à la manière du handling décrit par Winnicott. Je comprends aujourd’hui que ma présence bienveillante et mon écoute active ont permis de créer un espace d’expression et de confidence pour cette patiente qui a pu exprimer sa souffrance et sa crainte de l’avenir.
Si seulement j’avais su tout cela dès le début, si seulement j’avais été mieux formée, j’aurai pu être plus performante… à défaut de tout cela, ma meilleure formation a été et est encore mes patients.
BAISSE DES ANGOISSES
Plusieurs mois après, on me bipe pour des situations dites de « crise », de refus d’adhésion aux soins, de plaintes psychosomatiques et je m’amuse en me disant qu’en fait je suis un super placebo, efficace, sur les angoisses, sur les colères, sur la tristesse, sur les nausées et même sur la douleur.
Je pense avoir des « pouvoirs magiques » mais non … encore une fois c’est la MÉDIATION par le TOUCHER qui fait son effet. Car oui je persiste à dire que depuis toutes ces années où j’œuvre auprès des patients : le MASSAGE EST BIEN THÉRAPEUTIQUE EN ONCOLOGIE.
Je n’oublierai jamais un de mes premiers patients, de surcroît, psychiatre, qui embaumait sa chambre d’un parfum d’ambiance au Patchouli. Mon collègue infirmier m’oriente vers lui en me disant qu’il est très anxieux et qu’un massage pourrait être bénéfique. Il refuse ma proposition. Quelques jours après, il entre en chambre stérile et mon collègue renouvelle sa proposition au patient qui accepte… dès le début du massage, le patient s’apaise, ses muscles se décontractent, sa respiration est moins saccadée… et en plus il en redemande. Quelques semaines après la prescription d’anxiolytiques pour ce patient a été revue à la baisse grâce à des séances de massage régulières et rapprochées.
Je ne vous parlerai pas plus en détail de ma patiente qui refusait sa chimiothérapie et qui après massage a accepté, ou de ma patiente qui avait des nausées dès qu’elle entrait dans le service et qui après massage en avait moins.
Et l’échelle de la douleur ! Quand elle passe de 5 à 4 après massage, plus besoin d’argumenter les effets du toucher sur la douleur ou sur l’angoisse. J’expérimente les bienfaits de la socio-esthétique en oncologie depuis trop longtemps pour en douter.
Il faut que je sois honnête, cela fait des années que j’entends parler de la socio-esthétique en Octobre, pour Octobre Rose et je ne trouve pas que l’image de la profession soit valorisée à son juste titre. Etre socio-esthéticienne c’est aussi porter une blouse blanche et travailler sur le corps en souffrance via des activités de médiation esthétique et corporelle. C’est un travail collaboratif avec une équipe pluriprofessionnelle et une activité corporelle inscrite dans les projets personnalisés de soins. C’est la participation aux réunions d’équipe pour faire un retour d’analyse des pratiques professionnelles. c’est aussi parfois faire de la coordination en réorientant vers un professionnel compétent (oncologue, psychologue, kinésithérapeute, assistante sociale, etc).
Etre socio-esthéticienne, je le répète ce n’est pas porter une blouse Rose et mettre du vernis Rose! Car lorsque tu travailles en service de soins palliatifs et que tu fais du toucher relationnel tout en écoutant les souffrances et les craintes du patient, tu n’es pas à l’institut de beauté en train de faire de l’esthétique!
Entendre très souvent que le cœur de métier d’une socio-esthéticienne est l’esthétique, je ne suis pas d’accord c’est plutôt sa capacité à mettre en œuvre des activités de médiation corporelle via des outils en lien avec le corps dans une visée esthétique et de mieux être.
S’OUVRIR A SOI MÊME/SE RESTAURER DE L’INTÉRIEUR PAR L’EXTÉRIEUR
Le Toucher médiateur dans les soins de Socio-esthétique en cancérologie permet de « panser » certaines blessures corporelles inscrites de façon indélébiles et/ou liées à la maladie. Il vient souvent réveiller la « mémoire du corps » et permet alors d’exprimer ce qui n’a jamais pu être dit, au travers de séances de massage relationnel. Lorsque le corps souffre, n’exprime pas ses maux, le corps parle, somatise. Le toucher bienveillant vise une réparation des maux du corps et une mise en mot des souffrances corporelles. Les mains viennent tenter un apaisement de la souffrance morale et physique… ou encore une diminution de la douleur par des techniques non médicamenteuses. L’objectif final est l’amélioration de la qualité de vie des malades en oncologie.
Marie-Anne Conorgues, convaincue des bienfaits de la Socio-esthétique auprès des patients en oncologie, souhaite en cette période de COVID 19 lancer un message fort aux institutions et/ou structures employant des socio-esthéticiennes : n’arrêtez pas les soins socio-esthétiques dans cette période de crise sanitaire où les patients ont doublement besoin de présence, de bienveillance et de toucher relationnel. Dans un prochain article, Marie-Anne Conorgues nous parlera des activités à médiation esthétique et corporelle.
Auteur : Marie-Anne Conorgues, Socio-esthéticienne en cancérologie pour la LIGUE CONTRE LE CANCER 64 et formatrice pour Esthétique et Santé.
Toute reproduction interdite sans l’autorisation de l’auteur.
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